• 25 mars, fête nationale grecque

    En guise de commémoration du 25 mars 1821,

    début "officiel" de la guerre d'Indépendance contre les Turcs*,

    une présentation succincte d'un de ses acteurs et mémorialiste.

    *Cf  Article du 21.03.2015

     Yannis Makriyannis 

      Le général Yannis Makriyannis (1797 - 1864) / Στρατηγός Γιάννης Μακρυγιάννης est non seulement une grande figure de la Guerre d'Indépendance et de cet après-guerre, mais c'est aussi un écrivain, auteur d'une œuvre unique (dans les deux sens du terme), ses Mémoires / Απομνημονεύματα. Le tiτre de "général" ne doit pas faire illusion : Makriyannis ne sort pas d'une école militaire pas plus que les autres "généraux" qui dirigent l'insurrection, c'est un chef de guerre, un capétan, ce qui posera problème d'ailleurs quand lui et les autres capétans devront coopérer avec de "vrais" généraux venus d'Europe, voire leur obéir...

         Février 1829 : Makriyannis était à Argos, il avait été nommé Commandant général des forces du Péloponnèse et de Sparte par le gouvernement du Gouverneur de Grèce, Kapodistrias. Quand il n'était pas en tournée d'inspection, il était à Argos, désoeuvré, et plutôt que de passer son temps au café, il décide d'apprendre à écrire et de relater sa vie, les événements militaires et politiques qu'il a vécus, et de les commenter.

          Cet ouvrage de plus de 500 pages qui ne paraîtra qu'en 1907 (17 mois de déchiffrage !) était le livre de chevet de Seféris : il en appréciait la langue et la profondeur de la réflexion sur l'Etat, la Loi, la Justice.

    "Ce que je note, je le note parce que je ne puis supporter de voir l’injustice étouffer la justice. C’est pour cela que j’ai appris, dans ma vieillesse, à tracer ces lettres mal dégrossies parce que, enfant, je n’ai pu étudier : j’étais pauvre, je travaillais comme domestique."

          Il y a bien sûr une entrée Makriyannis dans Le Dictionnaire amoureux de la Grèce de Lacarrière, ouvrage que je ne cesserai de conseiller !!! Cf aussi d'Olivier Delorme La Grèce et les Balkans II chez Gallimard, Folio-Histoire

         Les Mémoires de Makriyannis  ont été traduits et annotés par Denis Kohler et publiés aux Editions Albin Michel 1987 : la préface, remarquable et éclairante, est de Vidal-Naquet. Les extraits ci-dessous sont la traduction de Denis Kohler.

    **************

     

    Bien des savants écrivent sur la Grèce, bien des journalistes informés, grecs et étrangers. Une seule raison m’a incité à écrire, moi aussi : c’est que nous avons tous notre place dans cette patrie, savants et ignorants, riches et pauvres, civils et militaires, jusqu’aux plus humbles des hommes. Nous qui avons lutté – chacun comme il a pu - nous avons à vivre ici. Nous avons été tous à la peine, que tous ensemble nous gardions aussi notre patrie et que le puissant ne dise pas « moi » ni le faible. Savez-vous quand on peut dire « moi » ? quand on a lutté seul et qu’on a construit ou détruit : mais quand beaucoup luttent et construisent, alors ils disent « nous ». C’est au « nous » que nous en sommes, pas au « moi ».

     

     Cette statue de Makriyannis se trouve à deux pas de l'entrée sud de l'Acropole : personne ne la regarde... 

    25 mars, fête nationale grecque 

         Ce quartier, Musée de l'Acropole et au-delàμ s'appelle Makriyannis : c'était là que se trouvait sa maison dont il ne reste aucune trace. Il nous décrit dans ses Mémoires la mosaïque en galets blancs et noirs qu'il avait fait faire dans la cour : une synthèse de la Guerre d'Indépendance. Que d'amertume, que d'espoirs déçus !

    Je fis d’abord représenter un cercle avec des lances tout autour. Ce cercle était notre patrie, entourée durant tant de siècles par les lances de la tyrannie. Plus bas était représenté un chien : c’est le Grec fidèle qui a monté la garde pour la liberté de la patrie, restant affamé et nu comme le bon chien qui protège les moutons du loup. Plus bas une biche allaite son faon ; c’est ainsi que la patrie nous allaite quand nous vivons dans la concorde. Plus bas, un grand lion se fait dévorer par un louveteau : c’est ainsi qu’avec l’aide de Dieu nous avons dévoré le Turc. Plus bas un arbre est chargé de fruits et un pauvre Grec cherche à ramasser dans un sac les fruits de sa lutte, mais de méchantes sangsues l’attaquent. [...] Plus bas, il y a les colonnes de Zeus, la Porte et la chouette symbolique. Plus bas on voit une danse : un danseur habillé à l’européenne danse avec un Grec. L’homme en pantalon veut suivre sa danse, le Grec la sienne, et ils vont en venir aux mains parce qu’aucun d’eux ne veut apprendre la danse de l’autre. Plus bas, c’est la Révolution et la guerre contre les Turcs, et on voit la cavalerie, l’infanterie et beaucoup de morts. Plus bas, on voit les combattants grecs qui ont lutté pour leur liberté et qui sont gravement blessés. Il y a des bœufs et des charrettes transportant des pierres et du mortier : les anciens combattants bâtissent les maisons et les propriétés de leurs nouveaux maîtres.

     

    La guerre pour l'indépendance a été marquée par des conflits entre clans qui ont dégénéré en quasi guerres civiles : les dissensions étaient très nombreuses, et les Grandes Puissances "protectrices" en ont bien profité, comme toujours.

          Quelle récompense, les disciples des Grecs illustres de l’Antiquité, les Européens, nous ont-ils donné à nous, leurs descendants ? Une école de fausseté et de corruption, une « vertu » à l’image de leurs « lumières ». Nous, les descendants, une poignée d’hommes sans fusils ni munitions, nous avons fait tomber son masque au « Gran Siniore » le Sultan, ce masque qu’il portait pour vous effrayer, vous autres Européens. Car tout puissants que vous étiez, riches et éclairés, vous lui payiez tribut et lui donniez du « Gran Siniore », n’osant même pas l’appeler Sultan. Et quand le pauvre peuple grec, pieds nus et déguenillé, lui fit la guerre en lui tuant près de 400 000 hommes, il dut vous la faire à vous aussi, les chrétiens, qui par vos fourberies et vos trahisons ruiniez notre action en livrant, les premières années, des munitions aux garnisons turques. Sinon, vous savez bien, avec l’élan qui était le nôtre, jusqu’où nous serions alors parvenus. Vous êtes à l’origine de nos rivalités de parti : l’anglais nous veut anglais, le français français, le russe russe. Chacun de vous s’est servi, aucun grec ne vous échappe. Nous sommes devenus vos danseuses. Et vous venez nous dire que nous ne sommes pas dignes de la liberté, parce que nous n’avons pas encore la chance d’en jouir. L’enfant n’a pas la sagesse infuse à la naissance ; il a besoin d’hommes instruits pour l’aider à progresser et à mûrir. Mais vous, avec toute votre instruction et votre morale, regardez ce que vous avez fait de nous, pauvres malheureux. 

     **************

         Le premier Etat à reconnaître la Révolution grecque et le droit des Grecs à l'autodétermination, fut Haïti en janvier 1822, an 19 de sa propre indépendance ! La suite, plus tard... le 25 mars 2017...

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 25 Mars 2016 à 12:13

    Un livre que j'ai lu avec gourmandise. Un formidable document écrit avec la passion de la vérité et de la justice.

    Je recommande sa lecture au 1er ministre grec actuel, il pourrait s'en inspirer, mais ne rêvons pas, ces temps là sont révolus.

    Le chien qui montait la garde pour le liberté de la patrie est devenu le mouton à l'échine courbé.

      • Vendredi 25 Mars 2016 à 13:35

        On peut aussi en recommander la lecture à tous ceux (politiques, notables et autres petits chefs) qui s'entredéchirent pour avoir la 1ère place et se moquent de l'intérêt commun !

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    2
    Vendredi 25 Mars 2016 à 12:29

    La statue est bien placée; ensuite ça dépend de chacun de la regarder de plus près ou d'en parler. Moi, p.ex., je la signale à mes touristes et j'en parle pas mal (le contexte historique de la guerre de l'indépendance, sa maison à côté, son rôle dans l'histoire de la littérature grecque moderne).

    Sur Makriyannis, un personnage très important mais mythifié pas ses admirateurs, à commencer par la "génération des années '30", il serait intéressant de lire aussi des ouvrages comme:

    Ιδεολογία και αξιοπιστία του Μακρυγιάννη

    Διαβάζοντας τον Μακρυγιάννη: Η κατασκευή ενός μύθου από τον Βλαχογιάννη, τον Θεοτοκά, τον Σεφέρη και τον Λορεντζάτο

    Μακρυγιάννης, Διγλωσσία και θρησκοληψία

     

    Au sujet de l'"oeuvre unique (dans les deux sens)": on a aussi publié de lui dans les années '80 l'inédit Οράματα και θάματα (lien), où c'est le chrétien très primaire qui s'exprime, ce qui a enthousiasmé les néo-orthodoxes. A cette occasion ont été publiés des textes sur ce nouvel ouvrage: Κείμενα για τα "Οράματα και θάματα" του Μακρυγιάννη (lien).

      • Vendredi 25 Mars 2016 à 13:30

        Cher Thalétas, merci beaucoup pour toutes ces précisions ! Que tu fasses une "station" *Makriyannis, je n'en doute pas ! Et que tu en profites pour parler de la Grèce moderne non plus ! Oui, il a été "mythifié" comme toutes les grandes figures, et récupéré plus souvent qu'à son tour.

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