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Chirurgie homérique
La "médecine homérique" vise à soulager et guérir les blessures du champ de bataille, en particulier celles occasionnées par les flèches de l'ennemi troyen, les autres étant toutes sans appel... La thérapie est strictement médicale : elle n'a aucun lien avec les dieux et n'exige ni exorcismes ni sacrifices propitiatoires. Le blessé doit retourner aussi vite que possible au combat !
de C'est, pourrait-on dire, une médecine de terrain qui fait appel à l'observation, à l'expérience mais aussi à diverses connaissances. Deux médecins - qui sont également chefs de guerre - accompagnent les Achéens (les Grecs) dans leur expédition punitive contre Troie : Podaliros et Machaon, tous deux fils d'Asklepios.
Mais que faire quand un des médecins est au combat et que l'autre a lui-même été touché par une flèche ? Telle est la situation à la fin du Chant XI ! Eurypyle vient d'être blessé à la cuisse et il se traîne hors des lignes, en boitant : "La sueur ruisselle à flots de sa tête et de ses épaules. De sa plaie douloureuse jaillit un sang noir. Son cœur n'en reste pas moins ferme."
Eurypyle sait ce qu'il en est de la situation, alors, rencontrant Patrocle, le doux ami d'Achille, il le supplie de l'aider :"Mène-moi à ma nef noire, entaille ma cuisse avec ton couteau pour en tirer la flèche, puis lave à l'eau tiède le sang noir qui en sortira, répands par-dessus les remèdes apaisants, les bons remèdes qu'Achille t'a fait connaître, dit-on, et que lui-même a appris de Chiron, le Centaure juste entre tous."
Centaure certes que Chiron, mais il n'a rien à voir avec l'autre lignée des Centaures, celle de ces êtres bruts, implulsifs et violents que l'on voit sur la frise sud du Parthénon. C'est un héros civilisateur, maîtrisant des arts divers : la chasse, la guerre, la musique, l'astronomie et la médecine. De nombreux héros lui furent confiés, dont le futur dieu de la médecine, Asklépios (fils d'Apollon) et Achille.
Chiron dispensait aussi une éducation morale : être juste et mesuré, résister à ses passions, toutes vertus que le bouillant Achille a eu du mal à mettre en pratique... L'Iliade n'est en effet rien d'autre que la colère d'Achille une fois l'armée grecque arrivée à Troie. Cf les premiers vers de l'ILIADE
Chante, déesse , la colère du fils de Pélée Achille,
funeste colère, qui aux Achéens valut d’innombrables souffrances
et jeta en pâture à Hadès tant d’âmes valeureuses
de héros, faisant de leurs corps la proie des chiens
et de tous les oiseaux : ainsi Zeus l’avait-il voulu.
Pars du jour où tout d’abord une querelle divisa
l’Atride protecteur de son peuple et le divin Achille.
Comme Achille, après avoir été spolié par l'Atride Agamemnon de sa captive, s'est retiré du combat et reste bouder dans sa tente, c'est Patrocle qui soignera Eurypylos : il lave la plaie, puis met par-dessus, "après l'avoir écrasée de ses mains, une racine amère qui calme la douleur. La plaie sèche peu à peu et le sang cesse de couler."
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Préambule un peu long, mais qui m'a paru indispensable pour introduire la scène ci-dessous. Il ne s'agit pas de l'illustration du .passage de l'Iliade, mais c'est une scène similaire dont les personnages sont, de gauche à droite, Patrocle et Achille, ce que l'on peut affirmer au vu des lettres gravées sur la coupe.
Les deux amis-amants (vaste sujet !) n'ont pas le même âge, ce que disent les textes d'ailleurs : Patrocle, d'âge mûr,porte une barbe tandis qu'Achille est encore imberbe, avec juste un duvet sur le haut de la joue. Ils sont tous deux en tenue de combat mais leur casque est différent, et l'on voit dépasser le carquois sur l'épaule gauche du blessé. La scène est un véritable arrêt sur image, in medias res, en pleine action de soin.
Achille a retiré la flèche de l'avant-bras (elle est en bas, à gauche) et le bandage est presque terminé. Il ne reste qu'un tour ou deux à faire et ce sera fait ! Patrocle qui détourne la tête -effet de la douleur ou appréhension- , pourra à nouveau la retourner pour regarder le bel ouvrage et remercier son ami. Il pourra défatiguer son bras droit et détendre la jambe gauche dont le pied paraît bien crispé ! Achille, lui, est dans une position plus confortable : à la fois détendu et totalement absorbé, il sait ce qu'il a à faire. Aucune inquiétude sur son visage, mais une sérénité apaisante, presque souriante et pleine d'affection pour le blessé.
Non seulement le dessin est superbe, mais la mise en espace de la scène dans un espace contraint, le médaillon qui orne le fond de la coupe, force l'admiration.
Ce vase en céramique est une coupe à boire, peu profonde, très évasée, avec un pied et deux anses, type "kylix" et souvent représentée dans les scènes de banquet. Elle fait 10cm de hauteur, et son diamètre est de 32 cm.
Les deux faces extérieures représentent une assemblée des dieux, me semble-t-il...
Seul le potier, l'a signée, sur le pied : Sosias, pas le peintre malheureusement ! Elle est datée de 510-500av. J;-C., et a été trouvée à Vulci, en Etrurie en 1828 et se trouve à Berlin à l'Antikensammlung.
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Chiron : son arrière-train de cheval est un héritage paternel. Son père le Titan Kronos, pour ne pas éveiller la jalousie de son épouse Rhéa, se transforma en étalon pour séduire l'Océanide Philyra, métamorphosée en jument. Philyra ne se remit pas d'avoir enfanté un tel rejeton, et l'abandonna. Le père ne le reconnut pas et il fut recueilli, adopté et éduqué par Apollon. Devenu grand, il se retira dans une grotte, sur le Mont Pélion, en Thessalie. Artémis participa elle aussi à son éducation et l'initia à la chasse et à la vie sauvage. Deux traditions donc dans sa formation : la civilisation, la culture d'un côté, de l'autre le vieux fonds chamanique de la Thessalie et la Grèce continentale.
Tags : homère, achille, patrocle, chiron
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Commentaires
2MyrthoDimanche 13 Décembre 2015 à 15:34Merci, Madeleine, de nous faire découvrir cette coupe où le dessin rend sensible la tension des muscles et des ligaments!
M.J.N.
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Lundi 14 Décembre 2015 à 07:58
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3FabLundi 14 Décembre 2015 à 18:53Un trésor d'humanité , un diamant artistique !!!!!!
ne le connaissais pas, m ais je ne l'oublierai pas , c'est sûr !!!!
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Lundi 14 Décembre 2015 à 21:23
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Quelle coupe magnifique. Merci Madeleine de me la faire connaître. Cela donne envie d'aller à Berlin pour la voir!
Oui, elle est est sublime à tous égards ! Mise en scène, sens du détail, et que de sentiments !!!