La Baie des Trépassés

(Cleden-Cap-Sizun et Plogoff, Finistère-sud entre Pointe du Van et Pointe du Raz)

photographiée par Claude Maréchal de Pont-Croix

13 janvier 2016 à 17h10 (pose longue d'une minute) En face, la Pointe du Raz.

     Cette magnifique photo m'a immédiatement fait penser à un texte de Tristan Corbière dont je viens de refeuilleter Les Amours Jaunes grâce à Karyotakis ! Le  dernier texte du recueil Elégies et Satires est la traduction du poème de Corbière Petit mort pour rire / Μικρός που πέθανε στ΄ αστεία - une traduction au demeurant très libre !

      Comment Karyotakis a-t-il eu connaissance de Corbière ? Probablement via l'ouvrage de Verlaine consacré aux Poètes maudits (Corbière, Rimbaud, Mallarmé). Possédait-il Les Amours Jaunes ou ne connaissait-il que quelques textes parus peut-être dans des revues littéraires grecques?... Un certain nombre de poèmes de Corbière furent publiés dans La vie parisienne, laquelle était diffusée à Athènes, et comme Karyotakis était francophone...

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Tristan Corbière (1845 - 1875 )

     Tristan Corbière est un poète breton, né près de Morlaix, sur la côte nord du Finistère : son père est un marin, journaliste, capitaine au long cours et romancier, auteur d'un roman à succès Le Négrier en 1832.

      L'enfance de Corbière est heureuse, mais des rhumatismes articulaires puis la tuberculose ( il a 17 ans) mettent un terme à ses études et l'obligent aussi à renoncer, la mort dans l'âme, à être marin. Il s'installe dans la maison de vacances des parents, à Roscoff, station balnéaire réputée pour son micro-climat. Il y fréquente les marins et se fait remarquer par toutes sortes d'excentricités et autres provocations anticléricales.

     Il y rencontre aussi des peintres parisiens en villégiature (la Bretagne est à la mode), dont le grand amour de sa vie, non partagé, ce dont témoigne le recueil Les Amours jaunes publié en 1873. Il fait plusieurs séjours à Paris, voyage en Italie, mais sa santé ne cesse de se détériorer et il meurt à Morlaix le 1er mars 1875, dans sa trentième année...

      Corbière est encore plus dissonant que Karyotakis. La dérision et l'autodérision sont ses seules planches de salut. Sa poésie est "disloquée" à l'image de son cœur brisé et de son corps malade, malingre et déformé par les crises successives de rhumatismes. Abandonnant son prénom de baptême Edouard-Joachim, il avait choisi celui de Tristan, prénom tragique s'il en est, et joint au nom de famille,Tristan Corbière = triste en corps bière... 

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Casino des trépassés

    "Un pays, - non, ce sont des côtes brisées de la dure Bretagne : Penmar'ch, Toul-Infern, Poul-Dahut, Stang-ar-Ankou... Des noms barbares hurlés par les rafales, roulés sous les lames sourdes, cassés dans les brisants et perdus en chair de poule sur les marais... Des noms qui ont des voix.

    Là, sous le ciel neutre, la tourmente est chez elle : le calme est un deuil.

    Là, c'est l'étang plombé qui gît sur la cité d'Ys, la Sodome noyée.

    Là, c'est la Baie-des-Trépassés où, des profondeurs, reviennent les os des naufragés frapper aux portes des cabanes pour quêter un linceul ; et le Raz-de-Sein, couturé de courants que jamais homme n'a passé sans peur ou mal.

     Là naissent et meurent des êtres couleur de roc, patients comme des éternels, rendant par hoquets une langue pauvre, presque éteinte, qui ne sait ni rire ni pleurer...

     C'est là que j'invente un casino."*

*Début du "poème en prose" : publié en septembre 1874 dans La vie parisienne.  

Esquibien, Trez Goarem (lîle de Sein est en face) Photo : Claude Maréchal