• Mines antiques du Laurion (2)

          Avec l’émergence d’Athènes comme puissance politique régionale, grâce notamment à l'unification de l'Attique sous sa houlette ("synoecisme"), puis, dans la foulée, à l'avènement  du système démocratique (réformes de Clisthène en - 510), tout s'accélère, et les besoins croissants d'Athènes en argent et en plomb donnent de l’élan à ces activités minières et incitent à la recherche de nouveaux filons, souterrains désormais, ce qui sera plus complexe et plus coûteux (excavation,  puits d'aération et de remontée d'une profondeur de 100-120 m, grosses quantités de combustibles pour les fours et donc nécessité d'une main d'œuvre plus nombreuse). L'un des centres miniers les plus actifs se situera dans l'ancienne Maronée (Kamariza auj.).

     

         L’organisation de ces activités est très réglementée et surveillée. Si le sous-sol minier, propriété de la cité-état d’Athènes, est exploité sous forme de concessions enregistrées par les magistrats spécifiques appelés polètes, les installations de surface, elles, avec les moulins broyeurs, les citernes, les laveries pour l’enrichissement, et les fours près du rivage, sont propriétés privées, en contrepartie de taxes bien sûr. Les entrepreneurs trouvent l’indispensable main d’œuvre auprès de « loueurs d’esclaves ». Au Vème siècle, entre 12 000 et 15 000 esclaves, venus des quatre coins du monde grec, y travaillent.

           Les revenus que la cité athénienne retire de cette exploitation industrielle vont lui donner les moyens de mettre en place et d'assurer son hégémonie maritime et de se lancer dans une politique de prestige (travaux de Périclès sur l’Acropole).

         La monnaie athénienne, la fameuse "chouette lauréotique" / λαυρεωτική γλαύξ devient la "monnaie internationale" sur le marché égéen. Toutes les "chouettes"  frappées sont en argent du Laurion. Le "tyran" Pisistrate dans la 2ème moitié du VIème siècle avait aussi frappé de la monnaie, restée  "provinciale".  Sur ce sujet, voir : Christophe Pébarthe, Monnaie et marché à Athènes à l'époque classique Ed. Belin 2008.

    N.B. Tyran avec guillemets, le tyran n'étant pas forcément tyrannique, au sens du mot aujourd'hui.

     

    Il y a 150 ans... Mines antiques du Laurion             Il y a 150 ans... Mines antiques du Laurion

    (Monnaie en argent du Laurion, tétradrachme à l'Athéna casquée, Vème s. av. J.-C., Athènes, Musée Nat.Arch.) 

    **************** 

        Si la flotte athénienne l’emporte sur celle du Grand Roi Xerxès, à Salamine en 480 av. J.-C. , c’est grâce aux 130 trières  que les revenus du Laurion, « confisqués » à cet effet par Thémistocle, ont permis de construire en un temps record : Thémistocle dispose ainsi de 200 trières pour faire face aux 500 vaisseaux perses ... Mais la ruse élaborée par le stratège athénien palliera l’infériorité en nombre !

     

    Il y a 150 ans... Mines antiques du Laurion

    Représentation d'une trière : navire de guerre à trois rangs de rames (Musée de l'Acropole)

     

        En - 472, Eschyle « met en scène » cette victoire dans la tragédie Les Perses. A la reine Atossa qui s’enquiert des ressources de cette Athènes lointaine que veut conquérir son fils, le coryphée1  répond (v. 238) :

    Ils ont une source d'argent, trésor de la terre

    Ἀργύρου πηγή τις αὐτοῖς ἐστι, θησαυρὸς χθονός

        Dès la fin du Vème s. av. J.C., suite à la guerre du Péloponnèse qui met Athènes sous le joug de Sparte,  les mines sont presque délaissées : la révolte des esclaves du Laurion fomentée par Alcibiade, passé chez les Spartiates, et leur désertion massive ont des effets catastrophiques. . Hormis quelques sursauts et tentatives de remise en activité, leur exploitation ira s’amenuisant jusqu’au 1er s. ap. J.C.  Athènes n’est plus le centre du monde !

    Voici ce qu'en écrit Strabon dans sa  Géographie Livre IX,23 (env 58 av. J.-C.- 25 ap. J) Trad. R. Baladié. Ed. Budé

    « Quant aux mines d’argent de l’Attique, elles étaient au début remarquablement productives, mais elles sont aujourd’hui épuisées *. Ceux qui les exploitent voyant leur rendement faiblir, firent même fondre les anciens résidus (ekbolades) et scories, et trouvèrent encore le moyen d’en extraire de l’argent pur, tant il est vrai qu’à l’origine on n’avait pas su efficacement traiter au four le minerai."

    Et il ajoute (avis aux amateurs de miel !) :

    "S’il est vrai que le meilleur miel qui soit au monde est le miel attique, la qualité de beaucoup supérieure se récolte, dit-on, au milieu des mines d’argent ; c’est celui qu’on appelle « non enfumé » **en raison de la façon dont il est préparé. »

    Tὰ δ᾽ ἀργυρεῖα τὰ ἐν τῇ Ἀττικῇ κατ᾽ ἀρχὰς μὲν ἦν ἀξιόλογα, νυνὶ δ᾽ ἐκλείπει: καὶ δὴ καὶ οἱ ἐργαζόμενοι, τῆς μεταλλείας ἀσθενῶς ὑπακουούσης, τὴν παλαιὰν ἐκβολάδα καὶ σκωρίαν ἀναχωνεύοντες εὕρισκον ἔτι ἐξ αὐτῆς ἀποκαθαιρόμενον ἀργύριον, τῶν ἀρχαίων ἀπείρως καμινευόντων.

    Tοῦ δὲ μέλιτος ἀρίστου τῶν πάντων ὄντος τοῦ Ἀττικοῦ πολὺ βέλτιστόν φασι τὸ ἐν τοῖς ἀργυρείοις, καὶ ἀκάπνιστον καλοῦσιν ἀπὸ τοῦ τρόπου τῆς σκευασίας

    **************** 

    *En réalité, les mines étaient loin d'être épuisées, et l'efficacité des techniques n'était pas du tout en cause : tout simplement, pour diminuer le coût de production, il fallait diminuer le coût faramineux de la fusion et par la-même, le minerai n'était pas complètement "vidé"  de ses composants métalliques. La "renaissance" du Laurion commencera par le traitement des scories et des ekbolades, 18 siècles plus tard...

    ** Il s’agit d’une variété de miel obtenue sans enfumer les ruches. On disait qu’il gardait beaucoup mieux son parfum naturel et qu’il avait des propriétés médicinales particulières. C’était une spécialité des apiculteurs de l’Attique. (Note Strabon Ed. Budé)

     **************** 

         La dernière mention des mines du Laurion se trouve chez le poète Paul Le Silentiaire (VIème ap. J.C) qui, dans sa Description de Sainte-Sophie, signale l’argent venu du Laurion.

         Puis, le silence.... jusqu'au milieu du XIXème siècle : entretemps, en 1453, Constantinople est prise par les Turcs Ottomans et une nouvelle ère commence pour les Balkans : cinq siècles de Turcocratie, comme disent les Grecs ...

          Sur toute la période antique, on estime à près de 13 000 000 tonnes le minerai extrait, et à respectivement 1 400 000 tonnes et 3 500 tonnes, le plomb et l’argent obtenus après traitement.

          Pendant des siècles, seul le paysage avec ses haldes 2  et ses collines d'ekvolades3  et de scories 4  rappelle le passé : 1 000 000 tonnes de rejets lors du tri manuel à la sortie de la mine, 9 000 000 tonnes de rejets au passage à la laverie, et 1 500 000 tonnes de scories. Une mine...

    1 coryphée : chef du chœur dans le théâtre antique.

    2 halde : amoncellement de déchets et déblais miniers.

    3 ekvolades : les rejets, ce qui ne va pas au four.  Un premier tri se faisait à l'œil (noir brillant) et au poids, à l'intérieur de la galerie : ces "rebuts" étaient remontés et restaient sur place. A l'exception des blocs dont il était évident qu'ils étaient très riches et qui allaient directement au four, le reste était l'objet d'un deuxième tri auprès des laveries : ce qui était considéré comme riche était concassé puis pulverisé et lavé (enrichi). Tous ces "déchets" s'accumulaient aux alentours de ces installations.

    4 scories : résidus solides apparaissant lors de la fusion des minerais.

    M.R.

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  • Commentaires

    1
    FredrickJones
    Lundi 7 Août 2017 à 10:11

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