• Palmyre - Tadmor (Requiem)

          Déplorer  la destruction programmée par l'Etat Islamique de Palmyre, en être révolté et abasourdi ne signifie évidemment pas que l'on oublie ou tient pour négligeables les dizaines de milliers de migrants syriens et autres qui fuient la guerre, le fanatisme et la misère au péril de leur vie, ni tous ceux qui ont péri, noyés en Méditerranée, parce qu'embarqués sur des embarcations de fortune chargées au maximum (au prix fort par les "professionnels" de ce nouveau commerce), ni, tout récemment, les 71 cadavres trouvés entassés dans un camion en Autriche, à la frontière austro-hongroise... ni tous ceux qui ont été décapités par Daech, dont un des derniers en date, à Palmyre, l'archéologue syrien Khaled al-Assaad, l'ancien directeur du musée et du site, assassiné le 18 août 2015 par les islamistes sur la grande place de l'antique cité gréco-romaine, après avoir été emprisonné et torturé un mois durant pour qu'il dévoile où les trésors archéologiques les plus importants ont été cachés dans l'espoir qu'ils  échappent à leur folie destructrice.

         

          Oasis à la source généreuse, en plein désert, à égale distance de la Méditerranée et de l'Euphrate, Palmyre s'est imposée dans le monde antique - à partir notamment des conquêtes d'Alexandre Le Grand et de la poursuite de l'hellénisation de ce territoire par ses successeurs Séleucides, - comme un carrefour commercial incontournable où affluaient toutes les richesses de l'Anatolie et de l'Orient lointain.

           Plus tard, une fois le dernier roi séleucide défait par Pompée en 64 av. J.-C., la Syrie devint province romaine et  Palmyre  passa sous la "protection" des Romains. La situation de Palmyre, aux marches orientales de l'Empire romain était pour Rome de la plus haute importance stratégique : un pont et/ou un tampon, selon les circonstances et selon les ambitions impérialistes des rois parthes puis des rois sassanides de la Perse.  

         Plus ou moins dépendante de Rome, la cité palmyréenne s'est dotée au 1er siècle av. J.-C. d'une administration à la romaine, probablement tenue par les grandes familles aristocratiques locales enrichies par le commerce florissant que favorise la Pax Romana. L'empereur Hadrien la déclare "cité libre" en 121 ap. J.-C. Palmyre, en échange de son rôle militaire sur le "limès" oriental tient à être de plus en plus autonome et n'hésite pas à se lancer dans des conquêtes, pour son compte.

        A la mort de son mari, assassiné en Cappadoce en 267 alors qu'il guerroyait contre les Goths, la grande reine Zénobie, secondée par son général Zabdas, soumet l'Egypte, puis Antioche et toute la Syrie romaine ! Elle prend le titre d'impératrice et commence même à battre monnaie. C'en est trop pour Rome ! L'empereur Aurélien en personne débarque en Syrie en 272 pour remettre de l'ordre : après avoir défait la cavalerie palmyréenne, il assiège Palmyre en août 272, sans la détruire, mais après le massacre, en 273, de la garnison laissée sur place, Aurélien revient et livre la cité au pillage... Que devint Zénobie ? Se retrouva-t-elle à Rome exposée dans le défilé triomphal d'Aurélien ? Fut-elle décapitée à ce moment-là, ou finit-elle ses jours en "dame romaine" à Tivoli ? Début de la légende !

        Palmyre continuera à jouer un rôle de défense du "limès" : Dioclétien y fit construire un camp et la ville se protègea de remparts. C'en est fini de la grande histoire de Palmyre : n'en restent (restaient) que ses antiquités... 

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         Jusqu'au IIIème siècle de notre ère, la ville ne cesse de se développer et de s'étendre, s'embellissant de constructions de part et d'autre de la rue principale bordée de portiques. L'architecture est fondamentalement hellénistique tout en combinant des éléments très orientaux, assyriens notamment.

        Ce syncrétisme architectural fait écho au  syncrétisme religieux caractéristique de la région. Les Dieux les plus importants, Bêl, d'origine babylonienne et Baalshamin d'origine cananéenne et araméenne, sont tous deux des maîtres du Ciel : Bêl est très tôt assimilé à Zeus. D'autres divinités présentes à Palmyre témoignent de la diversité des populations de l'oasis : Heraklès-Hercule, Apollon, dieu solaire par excellence, Allat, grande déesse des Arabes de la Péninsule assimilée à Athéna. Quant à Bêl, il forme souvent triade avec Yarhibol, dieu solaire er dieu de la justice et Aglibol, divinité lunaire représentée avec son croissant de lune en forme de cornes de taureau.

         C'est ce monde qui part en éclats, et qu'on retrouvera, mutilé, en morceaux épars, sur le marché parallèle (et lucratif) des antiquités. Tout ce qui date d'avant la conquête arabe (Palmyre est soumise en 634) doit disparaître. Telle est la "mission purificatrice" que ce sont attribuée ces fanatiques, obsédés par le fantasme  d' un islam  qui serait le "vrai", celui des origines, un islam imaginaire qui s'avère n'âtre qu'un islam dévoyé, morbide,  mortifère et négateur de l'Etre Humain et de l'Histoire de l'Humanité. 

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    Vue générale du site : au centre, au fond, s'élève le temple de Bêl, et derrière s'étend l'oasis. La rue principale part du temple de Bêl (à l'entrée du site) pour aller en quasi ligne droite jusqu'à un temple funéraire (d'où est prise la photo) puis bifurquer sur la gauche vers le quartier appelé "Camp de dioclétien" et le palais de la reine Zénobie.

     

    Palmyre

       Toutes ces photos ont été prises en mars 2007,

         Au IVème siècle, les temples seront consacrés au culte chrétien, pour peu de temps : c'est une région très excentrée, et malgré les efforts de l'empereur byzantin Justinien au tout début du VIème siècle, elle ne peut résister aux incursions des nomades, et près la conquête arabe de 634, c'en est fini de la brillante Palmyre.  Elle sombre dans l'anonymat : ce n'est plus qu'un petit village qui s'est construit à l'intérieur du temple de Bêl. Les ruines seront redécouvertes à partir du XVIIIème siècle par les européens. L'ouvrage des explorateurs Wood et Dankins Les ruines de Palmyre publié en 1751 aura deux effets : l'un scientifique avec le déchiffrement  dès 1754 de la langue de Palmyre (rameau araméen) par Jean-Baptiste Barthélémy, l'autre "romantique" alimentant la vogue et la vague de la "poétique des ruines" et les passions orientalistes etc.

     

    Palmyre - Tadmor (Requiem)

    Inscription bilingue grec-araméen de Palmyre

        Les "vraies" fouilles commenceront en 1929 et seront menées par l'archéologue Henri Seyrig, le père de Delphine Seyrig. A cette époque, la Syrie est sous mandat français de 1923 à 1946, date à laquelle la Syrie devient un Etat indépendant, à la suite de quoi les fouilles de Palmyre seront menées d'abord par une mission suisse, puis par une mission polonaise et enfin par le service des Antiquités Syriennes.

     

    Palmyre - Tadmor (Requiem)

    Une partie de la colonnade de la grande cour carrée de 200m de côté au centre de laquelle se trouvait le temple de Bêl. Au fond, le château arabe et divers tombeaux palmyréens dont certains ont des fresques à l'intérieur et étaient visitables. Trois d'entre eux, les plus beaux, viennent d'être détruits... 04.09.2015

     

    Palmyre - Tadmor (Requiem)

     

    Palmyre - Tadmor (Requiem)

    Le temple de Bêl construit entre le Ier siècle avant le 1er siècle de notre ère et le 1er après.

     

    Palmyre - Tadmor (Requiem)

     

    Palmyre - Tadmor (Requiem)

    Le temple de Bêl : à l'intérieur il y avait une cella et on pouvait encore voir sur chaque petit côté, deux niches qui devaient abriter chacune une statue de Bêl

     

    Palmyre - Tadmor (Requiem)

     

    Palmyre - Tadmor (Requiem)

    Entrée de la colonnade.

     

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         Petit carnet d'un voyage inoubliable : 

         Il y a encore moins de 10 ans, une européenne pouvait voyager seule en Syrie : les rudiments d'arabe que j'avais à l'époque et le fait de savoir lire me furent bien utiles ! 

         Bachar Al Assad avait succédé à son père en 2000 : les portraits d'Hafez que l'on voyait dans tous les coins de rue à Damas (premier voyage en 1995, en "organisé") et dans les villages avaient disparu et n'avaient pas été systématiquement remplacés par ceux de Bachar : il y en avait, mais beaucoup moins. Certes le régime n'avait pas fondamentalement changé, les opposants au régime avaient la vie dure, il y avait toujours une prison haute surveillance à Palmyre, mais, quand même, quelque chose avait bougé, dans le bon sens. J'avais donc pris le bus pour aller de Damas à Palmyre et y avais passé 2 nuits : si la visite du temple de Bêl ne pouvait se faire qu'à certaines heures, en revanche, on pouvait se promener sur le site, librement, du lever du soleil à la tombée de la nuit, et c'était sublime, le site se métamorphosant selon l'heure...

     

    Palmyre - Tadmor (Requiem)

       

      De Palmyre, je suis remontée, en bus, jusque Deir ez-Zor : je voulais absolument voir l'Euphrate et visiter Doura-Europos (la passion de notre prof d'histoire en khâgne !), cité fortifiée construite en -303 par un général du 1er Séleucide sur une hauteur dominant l'Euphrate. C'est à Doura-Europos que l'on a trouvé les fresques d'une synagogue (milieu du IIIème siècle de notre ère) déposées au Musée archéologique de Damas, vu leur fragilité : ces peintures exceptionnelles représentent des scènes de l'Ancien Testament, et donc des Patriarches et des Prophètes  sous leur forme humaine !... Cela invite à réfléchir sur les "Absolus".

          A mon grand regret, je n'ai pu aller à Mari, cité fondée au XXIXème siècle avant notre ère : le site, peu parlant, a maintenant été complètement saccagé par les islamistes et devenu i"infouillable" pour les générations futures. Doura-Europos est au milieu de nulle part, peu de bus y passent. J'ai donc fait du stop pour gagner le village le plus proche et y attendre le bus pour Deir ez-Zor. Sans problème. Le lendemain, j'ai repris un bus pour Alep, ville "mythique par excellence ! Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Le souk a été détruit, le minaret de la Grande Mosquée est à terre, etc. etc. J'ai poursuivi le périple vers la mer, direction Lattaquié, en train, où j'ai retrouvé des connaissances damascènes venues y passer le we. Avec mon hôte de Damas, nous avons loué une voiture : je ne pouvais manquer de de visiter Ougarit,  berceau de l'alphabet (un signe = un son), une invention révolutionnaire, puisque, avec la mémorisation d'une trentaine de signes seulement (ou moins selon les langues), tout individu connaissant leur valeur pouvait (et pourra) lire et écrire ! On est loin des milliers d'idéogrammes qu'il fallait apprendre et que seuls des spécialistes, les scribes, pouvaient maîtriser.

          De là, nous sommes descendu jusque Damas, en passant par les "villes mortes", puis Homs et ses norias, et, pour terminer le site hellénistique d'Apamée.

           (J'espère qu'il me sera pardonné d'avoir autant parlé de moi...)

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  • Commentaires

    1
    Mialine
    Vendredi 4 Septembre 2015 à 00:17

    Merci Madeleine pour cet article important et tu as bien fait de l'illustrer par ce que toi tu as pu voir .

    2
    Vendredi 4 Septembre 2015 à 08:19

    Merci beaucoup Mialine !

    3
    Christine V.
    Lundi 7 Septembre 2015 à 20:43

    Merci pour ce très bel article, Madeleine !

    4
    Lundi 7 Septembre 2015 à 21:47

    Merci Christine : cela me paraissait indispensable... Et ces photos qui m'étaient chères, le sont encore plus, hélas... La belle avenue échappera peut-être à la destruction, puisqu'il n'y a pas de représentations de figures humaines, et qu'elle n'était pas cultuelle. Mais elle a été construite par des "païens" à l'usage de "païens".

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