• Spinalonga, l'île des lépreux

         Epaminondas Remoundakis

    Vies et morts d'un lépreux crétois

    transcrit et traduit du grec d'après le récit d'Epaminondas Remoundakis (1912 - 1978) par Maurice Born et Marianne Gabriel, récit suivi d'un essai de Maurice Born Archéologie d'une arrogance, une histoire de la lèpre en Crète de 1800 à 1980 : statut, évolution et traitement.

    Editions Anacharsis, Toulouse,  novembre 2015, 525 pages, 26 euros

     

           Spinalonga / Σπιναλόγκα est un îlot (8ha) situé à l'est d'Iraklio, au large d' Elounda dans la baie de Mirabello. Les Vénitiens y construisirent un fort en 1564. Les Turcs devinrent les maîtres de la Crète en 1649 mais Spinalonga ne tomba qu'en 1718. C'est peu après le départ des derniers Turcs en 1898 que l'îlot devint une léproserie de 1904 à 1957 : on y déporta les 251 lépreux de Crète, puis à partir de 1913 ceux du continent. Ils y vécurent les premières décennies quasiment abandonnés et livrés à eux-mêmes... La situation changea du tout au tout avec l'arrivée en 1936 d'Epaminondas, étudiant en 3ème année de droit : il créa une association, la Fraternité des malades de Spinalonga et lutta de toutes ses forces pour l'amélioration de leurs conditions de vie et pour leur dignité, leur droit à vivre et à aimer.

    Spinalonga, l'île des lépreux

          Maurice Born (né en 1943), architecte de formation, est un ethnologue et sociologue suisse. C' est après avoir entendu parler de Spinalonga par un ami qu'il se rend en Crète pour la 1ère fois en 1967 : tous les matins il part pour l'île avec un pneumatique, il photographie et fait des relevés. Il y revient en 68 et 69 pour continuer ce travail qu'il poursuivra au sanatorium d'Aghia Varvara ( Aigaleo, Athènes) où ont été rassemblés - et encore isolés - les habitants de Spinalonga à la fermeture de la léproserie. Il les écoute, enregistre leurs histoires et se lie d'amitié avec Epaminondas Remoundakis, désormais gravement atteint par la maladie - il est devenu aveugle.

          Epaminondas va enregistrer son histoire pendant des heures et des heures. Ce sont ces bandes, retranscrites en grec et relues avec Epaminondas, puis traduites en français, qui constituent le récit : un témoignage et un objet littéraire de premier ordre.
         "Servi par une mémoire sans faille et un immense talent de conteur, pétri des histoires et des mythes de son île mais aussi des connaissances acquises sur les bancs du lycée et de la faculté de droit d'Athènes, Epaminondas fait le récit de la totalité de sa vie. Il nous conte sa jeunesse heureuse et buissonnière, sa vie d'étudiant à Athènes, son arrestation puis son existence sur l'île et ses combats contre l'injustice et l'arbitraire de l'État".

         Dans l’essai qui suit, Born nous offre de quoi penser nos réactions, trop souvent irrationnelles, face aux épidémies et aux maladies contagieuses, quelles qu’elles soient... La lèpre est une cousine de la tuberculose, toutes deux soignées grâce à la rifampicine, laquelle ne fut découverte qu'en 1957 et s'avéra bien plus efficace que les remèdes antérieurs.

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         A regarder : le court métrage "expérimental" (13') de Werner Herzog Dernières paroles (1968) : lire au préalable le texte de présentation, texte très éclairant sur la démarche du cinéaste ici Tout en bas d la page, le film, en allemand ; ne pas s'en inquiéter, il y a peu de paroles !

        Autre documentaire intéressant, L'Ordre (44', 1972) de Jean-Daniel Pollet (1936 - 2004), en collaboration avec Maurice Born : le titre est éloquent ! On y voit et entend Epaminondas Remoundakis. Il n'a presque plus de voix : sa voix, il l'a perdue pendant l'occupation quand il essayait de se faire entendre des occupants italiens et allemands, basés sur la rive d'en face distante de 700m, pour leur dire qu'ils n'avaient rien à manger. Le film : ici

        Il n'y a que peu de documents grecs, à ma connaissance, sur la léproserie de Spinalonga*. Un film fait date : il a été réalisé en 1957 (les scènes y sont tournées, avec des acteurs et de "vrais" malades car le lieu n'avait pas encore été "évacué") par une jeune femme de 27 ans, Lila Kourkoulakou (1930 - 2015) : L'île du silence / Το νησί της σιωπής. C'est un film très fort qui a trouvé la bonne distance et le ton juste pour parler de la maladie et des habitants de l'île. Un couple de jeunes médecins fait tout ce qu'il peut pour lutter contre la maladie et réconforter les malades, dont un jeune garçon qui veut devenir pianiste et arrive à fuguer sur le continent d'où il sera ramené manu militari. Le film se termine sur une note d'espoir : les recherches médicales laissent penser que bientôt, l'antibiotique approprié sera trouvé - nous sommes en effet en 1957. Le film, non sous-titré  ici

       Le film eut un grand retentissement, d'autant plus qu'il fut présenté au Festival de Venise : c'était la première fois qu'une femme réalisatrice y était invitée, et en tant que telle, elle eut un prix. En Grèce, le film ne fut pas très bien reçu. Il levait des tabous et dérangeait : une scène montre un couple de lépreux faisant l'amour... Dans les quartiers populaires, on n'alla pas le voir par peur d'être contaminé.  Le choc qu'il provoqua ne fut pas pour rien dans la fermeture de la léproserie. Un autre ordre allait se mettre en place à Aghia Varvara, un ordre que les Spinalongites - comme ils s'appelaient -  ont toujours refusé. Par la suite, Lila Kourkoulakou n'a pas "abandonné" les lépreux à leur sort : bien au contraire, elle n'a cessé de lutter contre les préjugés les concernant, notamment leur contagiosité.

    * Néanmoins trois créations littéraires  : 1919 Cité malade / Άρρωστη Πολιτεία de la "pionnière" Galatée Kazantzakis (1881 - 1962) la 1ère épouse du romancier, 1933 Spinalonga de Kornaros (1906-1970) qui fut un livre-choc pour la réalisatrice, 1939 Terre et Eau de Wilielmos Abott (1906-2001).

       Ces ouvrages ont été republiés récemment : probablement un effet L'île des oubliés (2005 et 2007 en grec) de Victoria Hislop et de la série grecque qui en fut tirée (2010-2011). Autre effet, le nombre croissant de visiteurs. Il faut espérer que Vies et morts aura une version grecque.

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  • Commentaires

    1
    Hellada
    Dimanche 5 Juin 2016 à 15:35
    Livre très dérangeant et passionnant dans le même mouvement. Merci vraiment d en parler!
      • Dimanche 5 Juin 2016 à 17:21

        De façon générale, ces maladies nous font peur, et nous préférons détourner les yeux, et même nous détourner tout court : rappelons-nous les réactions au sida... Cet ouvrage est une extraordinaire leçon de vie et de "morale"...

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