-
La Dame d'Auxerre et la Dame d'Eleftherna (Crète)
La Dame d'Auxerre se trouve au Louvre
Grèce préclassique, entresol de l'aile Denon, vitrine 26
Quand, comment, où a-t-elle été découverte ? Mystère !
On sait simplement qu'elle a été achetée (à qui ?) en 1895 par le concierge du Théâtre d'Auxerre où elle servait de décor d'opérette, et qu'ensuite elle a échoué au musée municipal d'Auxerre (à la Préfecture ?) où l'archéologue Maxime Collignon la repère en 1907. Elle entre au Louvre en 1909, en échange d'un tableau du peintre paysagiste Harpignies.
Photo : Thalétas Photo : Thalétas
Photo M.R.
Cette statuette féminine, en calcaire coquillier, d'une hauteur de 75 cm est un suparbe exemple du style dit "dédalique" - du nom de Dédale, considéré par les Anciens comme le premier sculpteur - selon la terminologie employée pour qualifier les œuvres "orientalisantes" du VIIème siècle avant J.-C. -, un art dont la Crète fut le foyer et qui se caractérise par la frontalité, la chevelure abondante (perruque ?), le visage triangulaire et, de façon générale, par une certaine rigidité qu'animent néanmoins le rendu des détails anatomiques et l'élégance vestimentaire.
De ce point de vue la Dame d'Auxerre est remarquable ! Une partie de son visage a été arrachée, mais il nous reste l'ébauche d'un sourire, le futur sourire "archaïque" du siècle suivant. Le visage est encadré par les triangles inversés que forme de chaque côté la masse des cheveux artistiquement tressés. Une large ceinture rappelant les ceintures métalliques marque sa taille très fine, un peu cambrée, à la crétoise, et la robe-fourreau est décorée de motifs de méandres labyrinthiques. En outre, le mantelet vient souligner la position des bras. Des traces de couleur rappellent que les statues étaient peintes de couleurs vives !
Photo : Musée du Louvre
"Qui" est-elle ? Astarté, Perséphone ou une autre divinité ? Ou simple Korê (jeune fille) ? Il semblerait qu'elle ait surmonté la tombe d'une défunte crétoise appartenant à l'aristocratie. Cf Martinez, ci-dessous.
********************
Depuis son entrée au Louvre, la Dame d'Auxerre n'en est sortie qu'une seule fois en décembre 2004, pour être exposée pendant trois mois, au Musée Cycladique d'Athènes, auprès de sa "sœur", dans le cadre de l'exposition temporaire consacrée au site archéologique d'Eleftherna, laquelle présentait un choix d'objets trouvés sur les trois lieux de ce site : l'acropole, la cité proprement dite et la nécropole. Le directeur du Musée Nikos Stabolidis est aussi le responsable des fouilles de la nécropole.
La Dame d'Elftherna (pas de photo disponible) a été trouvée dans cette nécropole. Elle est légèrement plus grande que celle d'Auxerre : malheureusement nous n'en avons que le bas du corps à partir de la taille, et nulle trace de la partie supérieure. Il en reste néanmoins suffisamment pour que la parenté saute aux yeux (même calcaire coquillier typique de la Crète et donc probablement même atelier), et si l'origine crétoise de la Dame d'Auxerre s'était imposée, en revanche il n'y avait aucun indice permettant d'identifier le lieu de sa création. Le voici établi.
Comment est-elle arrivée en France à la fin du XIXème ? Εlle aurait été trouvée dans un monastère au 18ème ou 19ème siècle et serait entrée en France par Marseille ainsi que d'autres objets de la région d'Eleftherna, tout aussi clandestinement A cette époque, la Crète fait toujours partie de l'Empire Ottoman (rattachée en 1913 à la Grèce) et, archéologues et/ou chasseurs de trésors, dont beaucoup de Français, la parcourent librement et se servent impunément.
Cf l'opuscule de J-Luc Martinez La Dame d'Auxerre, Musée du Louvre, collection Solo, 46p, 2000, que, honte à moi, je ne possède pas, et que je vais m'empresser de me procurer... Le catalogue de l'exposition du Musée Cycladique est certainement lui aussi passionnant !
********************
Eleftherna / Ελεύθερνα
Le site archéologique, immense, se trouve sur la pente N-O du Psiloritis (Ida), 30 km environ au S-E de Réthymno, en pleine nature. entre 300 et 400m de hauteur, et avec une vue magnifique sur la mer de Crète, distante de 9-10 km.
Les premières fouilles, menées à la fin des années 1920 par les Anglais, n'ont duré que peu de temps : ils n'y trouvèrent rien d'intéressant. Reprises en 1985, par l'Université de Crète (Themelis pour l'acropole, Kalpaxis pour la cité), elles ont révélé un lieu immense et d'une incommensurable importance historique : la présence humaine y est attestée à partir des IVème-IIIème millénaires. La cité proprement dite est fondée par les Doriens au IXème siècle avant notre ère Le site quasi abandonné après le tremblement de terre de 796 vivote jusqu'au XIIème siècle. Et les Vénitiens qui achetèrent la Crète aux Croisés de la 4ème croisade (ceux firent le sac de Constantinople en 1204 et s'y installèrent pour un demi-siècle) interdirent aux locaux de s'y installer et de la reconstruire, par crainte, sans doute, d'une rébellion qui eût été difficile à maîtriser dans ce lieu écarté et sauvage.
Si les vestiges hellénistiques, romains, paleochrétiens et proto-byzantins sont fort intéressants (entre autres un pont hellénistique à arche pointue, des maisons et d'immenses citernes romaines), c'est la nécropole d'Orthi Petra - inviolée jusqu'aux fouilles menées à partir de 1985 par Nikos Stabolidis - qui retient le plus l'attention : que de bijoux, parures et armes dans ces tombes des IXème, VIII et VIIèmes siècles ! En outre les sépultures d'Orhi Petra témoignent de pratiques funéraires diverses : inhumations classiques, inhumations dans des jarres de grande taille ou pithoi et crémations. Certains de ces modes rappellent l'épisode des funérailles de Patrocle au Chant XXIII de l'Iliade.
La nécropole protégée par un vaste auvent : parcours balisé.
Le site peut être visité depuis 2008 et le Musée va enfin ouvrir ses portes en juin 2016 ! Une première en Crète où aucun site archéologique ne dispose d'un musée. Ce sera un lieu moderne et spacieux (1800m2 dont des espaces pour les réserves et ateliers de restauration) où seront exposés, 1200 objets, tous renouvelés tous les quatre ans : 10 000 objets dans les réserves sans compter toutes les trouvailles qui vont encore se faire !
Eleftherna sera à la fois un parc archéologique, un parc naturel et un jardin botanique avec une signalétique particulière accompagnant la signalétique classique : par exemple, pour aller de l'acropole à la nécropole, suivre le chemin avec les amandiers etc. Des espaces de repos ombragés seront aménagés.
Ce lieu va bien sûr contribuer au développement d'un tourisme nouveau en Crète et de l'agrotourisme. A suivre de près, donc. Il y a encore de bonnes nouvelles, malgré tout !!!
Tags : Elefherna, Dame d'Auxerre
-
Commentaires
2Marie-Joëlle NaulinVendredi 12 Février 2016 à 15:53Oui, je la connais mais j'avais oublié ses origines crétoises et sa charmante élégance!
M.J.N.
-
Vendredi 12 Février 2016 à 16:48
-
3DinaVendredi 12 Février 2016 à 17:54Merci pour tous ces détails fascinants!
-
Vendredi 12 Février 2016 à 20:33
-
4nanadaniDimanche 14 Février 2016 à 11:59Merci pour tout ce que tu nous apprends dans ton blog. C'est toujours un immense plaisir pour moi de le lire.
-
Dimanche 14 Février 2016 à 14:11
-
Ajouter un commentaire
Merci, Madeleine, pour cette présentation de la Dame d'Auxerre, évoquant tant les statues égyptiennes que les charmantes Korés archaïques!
M.J.N.
Je suppose que tu la connais bien, Marie-Joëlle !