Jusqu'aux années 1960, ces immigrés ont vécu en vase clos dans les baraquements de Péchiney, à l'écart du centre de Salin. Il va presque de soi qu'il n'y eut que très peu de mariages mixtes, lesquels étaient d'ailleurs "mal vus" et créaient des situations de crise dans les familles. Les premiers immigrés ou bien sont arrivés avec une famille déjà constituée ou bien, quand ils étaient célibataires, ils sont allés chercher une épouse au "pays", dans leur village ou encore en ont fait venir une, selon la coutume des "mariages arrangés". La "loi" restera longtemps celle de l'endogamie.
Et bien sûr (réflexe de survie en milieu étranger), ils ont mis en place des structures identitaires, en particulier dans le domaine religieux (lieu de culte provisoire puis en dur) et lors des fêtes religieuses -mais pas seulement -, on se reçoit, on chante, on danse comme on le faisait au village, on cuisine, on partage etc., à savoir tout ce qui maintient et vivifie dans la diaspora ce que les Grecs appellent l'Hellénisme.
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Migration de Grecs vers la France : une immigration organisée par l'Etat français
A partir de 1916, la guerre durant bien plus longtemps qu'on ne l'avait escompté, le besoin de travailleurs s'est fait sentir de façon cruciale, en particulier pour les usines d'armement... Une campagne de recrutement d'étrangers est lancée par l'Etat français. Le Dodécanèse sera un des viviers. S'y trouvent en effet un grand nombre de Grecs qui ont quitté l'Empire Ottoman, fuyant la politique ultranationaliste des Jeunes Turcs pour se réfugier dans le Dodécanèse, une région plus sûre que l'Asie Mineure et plus proche que le continent grec, où ils n'auraient pas forcément été bien accueillis et où, de toute façon, il n'y a guère de travail.
Dans le Dodécanèse non plus... mais le Dodécanèse est sous administration italienne : un "cadeau" des Grandes Puissance à l'Italie pour la "récompenser" d'avoir rompu avec l'Autriche-Hongrie et l'Allemagne et avoir rejoint la Triple Entente *, Les consuls italiens tiendront un grand rôle dans l'organisation des départs. En outre, comme le conflit mondial se joue aussi en Orient, il est facile d'utiliser pour leur transport en France les bateaux ravitailleurs de l'Armée d'Orient qui jusqu'alors rentraient vides à Marseille. C'est par cette voie que les migrants arrivèrent à Marseille où un contrat de travail et une carte d'identité leur étaient remis**.
* Le Dodécanèse sera rattaché à la Grèce en 1945
** Sur les conditions de circulation des étrangers en France et leur statut au XIXème et début XXème siècles, voir Musée de l'Histoire de l'immigration
Entre juillet 1916 et août 1917, on compte près de 15.000 arrivées de Grecs en France, et pendant la durée de la guerre, sur les 82.000 travailleurs embauchés par le Ministère de l'Armement, il y eut 24.300 Grecs. On trouvera des Grecs tout le long de l'axe rhodanien : 800 à St-Etienne, 1.200 à Pont-de-Chéruy, à Port de Bouc, Grenoble, Roanne, Brignoud, Lyon etc. 1.300 Grecs viennent travailler à Nantes dans les usines de munitions, mais trop à l'Ouest probablement pour des Méditerranéens, ce groupe ne s'étoffera guère par la suite. On trouve même quelques Grecs dans les registres 1917 des Forges d'Inzinzac-Lochrist (Morbihan) * : une dizaine, mais juste pour quelques mois, voire quelques semaines ou quelques jours. Isolés, sans compatriotes, dépaysés par le climat et, probablement par la langue bretonne - la quasi totalité de leurs collègues de travail venant "du coin" -, ils ont cherché fortune ailleurs, on ne sait où, à Nantes peut-être...
Après la catastrophe d'Asie Mineure et l'échange des populations, il y eut une seconde vague de migrations de Grecs, spontanée celle-ci et acceptée par l'Etat français qui avait encore besoin de main d'oeuvre. Ces migrants, par le jeu des réseaux familiaux et autres, ont rejoint les centres industriels où s'était installée la 1ère vague, Beaucoup d'entre eux monteront à Paris : activités artisanales et commerciales diverses.
C'est une histoire peu connue que celle de l'immigration grecque en France au début du XXème siècle : sur le sujet, il y a quelques articles** et monographies, mais pas d'ouvrage général, récent à tout le moins***. Pas la moindre mention au Musée de l'Histoire de l'immigration à Paris non plus, comme le note, avec regret, Anne Maïllis... Certes, au regard de la population française de l'époque, le nombre de Grecs est peu important (néanmoins dans l'avant-guerre, c'est la France qui, en Europe, avait la communauté grecque la plus nombreuse) mais au regard de la population grecque du début du XXème siècle, c'était un nombre significatif.
* « Collection Ecomusée industriel des Forges d’Inzinzac-Lochrist ». (Morbihan) Ecomusée dont j'ai pu, grâce à N Le S. et Virginie L. de l'écomusée consulter le registre de 1917.
** Les chiffres cités viennent de l'article de Michel Bruneau : Une immigration dans la longue durée : la diaspora grecque en France 1996 in Espaces, populations, sociétés
*** Kanonidis 1992 Essai sur l'immigration grecque en France au XXème siècle. Mémoire de maîtrise Paris 1
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Merci Madeleine, ce reportage m'a passionnée .